Serge Vallory

 

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Ma généalogie de l'Art

 

Le murmure coloré des éléments et le secret de sa beauté, teintent l'instant qui nous traverse, mais on l'ignore jusqu'au jour où l'apparence bonasse et ordinaire lève sa herse. Derrière elle, les choses sont donc si présentes, les choses « sont »...! Infiniment elles passent... Le silence intérieur est leur écrin, qui amplifie les sentiments, le dialogue muet que le regard entretient avec elles, en tout lieu où il se pose.

 Togo, un éternel après-midi à la pêche, avec un ami, en amont de la cascade: la forêt sombre et moite comme une panse immense, nous avait engloutie. Les pieds dans la vase, de l'eau à mi-cuisse, on avançait dans le sens du courant où glissaient mollement toutes sortes de débris végétaux. Des  branches noires émergeaient en bordure de rives_une haie funeste... Étions-nous les prédateurs ou les proies de ce lieu? Le filet déployait sans cesse son ombre au-dessus de l'eau pour retomber comme une sentence. Les poissons qu'il ramenait_ leurs bâillement effarés et leurs chairs agonisantes_ avaient des airs de profanation qui limitait toute élévation à cette cruauté dont ma torpeur s'accommodait.

 Après plusieurs heures, la rivière coulait sous une maigre passerelle, en voie de végétalisation, pour former une vaste étendue calme. D'épars rayons de soleil perçaient au travers les frondaisons et se posaient en quelques flaques de lumière beige. Ici on avait peine à extirper sa sandale de la fange bourbeuse où l'on s'enfonçait. Le glissement paisible des feuilles jaunes de bambou  ponctuait mes songes, aux prises avec une surnaturelle révélation esthétique: «avancer sans savoir où on met les pieds, en lançant son filet au hasard, sur la surface opaque du devenir...: c'est l'existence! »

 Dans cette jeunesse végétale effrénée et cet humus vaseux où tout s'enlise, je me réveillais d'une nuit dont je n'étais jamais sorti. Le tout et le rien se rejoignaient à cet instant précis où je me dissolvais. Naître, bourgeonner et fleurir pour faner et pourrir sous les jeunes pousses affamées; la renaissance perpétuelle du monde engendre sa fin. Au beau milieu de cette eau boueuse, des exhalaisons de fleurs et de décomposition,dans cette moiteur d'étuve, j'étais ramolli par le processus d'une digestion universelle. Je n'avais plus d'objection. Laisser faire.

 Après avoir vu la fin du chemin d'illusions de « toujours » où nous allons, après... vient la peinture. Le «rire » de la reddition, prend forme dans l'Art: cette somme d'efforts démesurés pour rien, pour se « sauver »  dans l' éther d'une dérision esthétique. Après il y a l'au-delà des simples mots, « Les fleurs du mal » et Picasso... « Ecrire et peindre sont des jeux destinés à distraire l'homme de son désespoir » H. Hesse.

Exposition Bordeaux 2011

 
La Forme:

 

Ces toiles ont toutes en commun, le même désir de rendre compte d'une réalité visuelle, faite de plusieurs regards qui se chevauchent... C'est comme çà depuis le jour où, regardant passer la foule, j'ai observé que ce que je voyais venais se superposer à ce que j'avais vu une seconde plus tôt et qui persistait visuellement un court instant, pour former un magma visuel en constante évolution. J'explore ce magma, depuis,  car il échappe et qu'il permet d'échapper ainsi à la routine du « savoir faire » qui est le pire des pièges quand on veut aller au bout de soi, pour trouver ce que les choses ont d'inédit.

 

 

Regardant désormais la réalité qui m'entoure par ce prisme d'une réalité plurielle et en mouvement, ma peinture  privilégie des évocations plutôt qu'un rendu trop précis des choses qui, à mon sens, sont dénaturées dès qu'on les limitent dans un contour trop « fini ».

 

 

Même s'il y a moins de choses à voir en France qu'au Togo, dans un quotidien un peu aseptisé, j'ai fini par trouver des points d'observation ici ou là.... J'ai notamment eu la chance, d'assister en spectateur privilégier, à des cours de danse et de cirque ainsi qu'aux répétitions d'une chorégraphie de Paco Dècina où j'ai retrouvé cette effervescence visuelle que j'aimais observer au Togo et qui ont été une autre source d'inspiration de ces toiles.

 

Le sens:

 

Je sais que les arts plastiques d'aujourd'hui s'occupent plutôt de provoquer, d'interpeller ou de questionner sur différents sujets. Je reste pour ma part axé sur une peinture qui ne sert à rien d'autre qu'à faire partager et à exprimer « ma » réalité sensible aux prises avec l'environnement qui m'entoure, pour trouver écho auprès de  sensibilités amies.

Nos ressentis continuent à nous déborder et l'œuvre d'art n'a donc pas fini de se mettre au service de nos émotions en lien avec notre réel..., pour viser cette liberté qui nait quand on atteint l'instant où, la forme et la sensation de la forme, se rejoignent. Le point départ de toute pensée conceptuelle se trouve dans les émotions et le rapport à la matière pour les exprimer.

 

Quant au fond: la peinture est peu de chose, juste un murmure coloré à opposer au fait, comme dit Woody Allen, qu'il est peut être plus tard qu'on ne le pense... La peinture, comme tout art, sans doute, est une urgence qui murmure pour exprimer les liens sensibles et affectifs qui nous lient à notre univers... Contempler, rendre hommage, aimer, chanter du regard..., pendant qu'on peut le faire, c'est sans doute ce qui donne un sens au temps qui reste. H Hesse dit « écrire et peindre sont des jeux destinés à distraire l'homme de son désespoir » et je pense qu'on n'est jamais plus haut qu'en  prenant le parti de légèreté....